-Certains me définissent en tant que créateur rassembleur… Mais moi je n’ai jamais oublié mes racines du partage ; ces racines que j’ai toujours eu l’occasion de voir naître tout autour de l’esprit de famille m’ont toujours soutenu. Ma clairvoyance, je la puise là. Et elle m’amène à aller tranquillement vers des pôles, des mouvements que j’ai eu à essayer à Paris dans les années 80, avec l’idée de rassembler les gens. Quand je parlais de Partage, en fait, c’est parce que c’est de cette philosophie là qu’est née l’opportunité d’aller vers l’Autre. Par la suite, j’ai compris qu’il ne suffisait pas d’être seulement avec les autres, mais qu’il fallait faire quelque chose avec eux. C’est là que la création m’a accompagné sur le chemin de cette philosophie du partage, de rencontres, des brassages et de fusion. Cela m’a aussi aidé à m’inspirer auprès de cultures différentes, qui m’ont poussé à conceptualiser mon idée de Baïfal Dream, qui est le « rêve des couleurs »… Car, dès que j’ai vu les Baïfal habillés en patchwork dans les rues de Dakar, avec des pluri-images, des pluri-couleurs, j’ai compris que ma toile était là, posée devant mes yeux ! Le fait de puiser dans cette manne m’a aidé à poursuivre mon travail depuis une vingtaine d’années à Paris, avec des artistes et des cultures différents. Finalement, ce Mouvement de Baïfal Dream est allé jusqu’à devenir pluridisciplinaire… J’étais naturellement entouré, en tant que créatif, par d’autres personnes qui avaient les mêmes objectifs, les mêmes ondes, les mêmes aspirations que moi, et qui m’ont propulsé. Par la même occasion, je leur ai montré aussi le chemin sur lequel pourraient se développer des choses avec moi, ou avec d’autres créateurs. Mais l’idée de développer ces passerelles n’est pas née ici, mais à Dakar, ma ville natale… Dans mon célèbre quartier de la Médina qui regorge d’artisans créatifs, qui ont eu l’occasion d’aider d’autres jeunes à rester eux-mêmes, et aujourd’hui à vivre de leur Art… En fait, le plus important, c’est d’être passionné, d’aimer faire plaisir et d’arriver à se faire plaisir.
-Mike, comment concrètement travailles-tu, et quelle est ta vision de la haute couture africaine ?
-Très mixture… Je puise dans la culture africaine du côté de l’image, le côté afro pop art, le mélange des couleurs à rehausser, afin d’arriver à pouvoir côtoyer d’autres cultures sans complexe. En fait, ma vision est à la fois africaniste, mais aussi universaliste. C’est comme cela que j’arrive à surprendre ceux qui veulent cataloguer, ghettoïser... Moi ce qui m’intéresse, c’est de pouvoir faire de l’art mobile, de démocratiser l’art, de le sortir de la galerie pour l’amener du côté du happening, là où les gens n’ont jamais pensé qu’ils pourraient se poser pour éventuellement jouer un rôle. Pour moi, la culture de la mode, ou la world culture, c’est celle qui peut être à la fois haute couture, et objet d’amour pour les gens simples… En fait, je veux donner une empreinte contemporaine, mais aussi intemporelle.
-Plus je te connais, plus je t’identifie à des gens comme Aimé Césaire « le Nègre fondamental », Edouard Glissant avec ses concepts d’ »Antillanité », de « créolisation », puis de « tout-monde », et même à quelqu’un comme Léopold Sédar Senghor qui disait qu’il faut s’ouvrir pour mieux s’enraciner… Dubuffet disait que l’art doit surgir de là où on ne l’attend pas… J’ai l’impression que toi, Mike, tu vas puiser dans les puits les plus insondables, les plus inépuisables, les plus profonds de la terre-mère ?
-Je remercie Dieu d’avoir des grands-frères comme toi, qui nous ont guidé et qui ont clarifié notre façon de nous comporter, pour finalement nous ancrer dans l’humilité… Le fait de me comparer à des monstres sacrés comme Césaire, Glissant et Senghor m’a beaucoup touché, dans la mesure où ces personnes sont de grands savants, des visionnaires qui véhiculent un fort message humaniste et intellectuel…..Et c’est là où j’en arrive à l’"utile", car moi j’aime bien faire de l’art utile, cause pour laquelle je me refuse de faire des chiffons, en ne créant que des pièces uniques. J’ai toujours voulu faire de l’art-thérapie, de l’art qui soigne, mais qui peut aussi être protecteur. Et quand je dis Bay Fall Dream, je pense à des couleurs soignantes qu’on a besoin de mettre sur soi quotidiennement, et chaque couleur va être perçue dans ses différentes tonalités pour s’harmoniser. Dans ma démarche, je suis « toutes couleurs », avec une création contemporaine, en même temps avant-gardiste… Je ne pense pas en tant qu’Afro parisien, Afro-sapiens, je vais même beaucoup plus loin, car pour certains je sui Afro-punk, parce que naturellement je suis quelqu’un de ces beaux quartiers de la Médina qui cherche à servir en tant qu’inspirateur, et à se servir comme inspiré par les autres. Dans les vêtements Bay Fall Dream, au-delà de la matière et des couleurs, on y trouve l’Occident, l’Afrique, la world culture, la world fashion qu’on fait… L’essentiel c’est de toucher notre époque, de toucher les gens.
-Un grand homme de culture, grand écrivain Congolais décédé, Sony Labou Tansi, avait coutume de répondre à la question « pourquoi écris-tu ? », par « j’écris pour qu’il fasse plus humanité en moi ». Dans ce sens, je vois en toi un homme pluri et multidimensionnel eu égard à toutes les disciplines que tu pratiques….
-Dans mon quartier de la Médina où je suis né, il y avait deux grandes familles de griots les plus célébres du pays : Balla Dogo Mbaye et Doudou Ndiaye Rose… Ainsi, l’Opéra mandingue, je l’ai vu jeune… Les plus grandes danseuses aussi... Je ne bougeais pas de ma rue. Donc on a baigné dans cette éducation culturelle très fertile et féconde, qui nous faisait toucher à tout même au sport ! C’est l’idée de partage qui m’a amené en France, et c’est elle qui me fait toucher un peu à tout.
-C’est vrai que quand j’ai commencé à écrire de la poésie, j’ai aussitôt compris que c’était pour le partage… Et toi aussi, tu es toujours dans le partage, à travers tous les événementiels que tu inities avec tant d’énergie… Mais aujourd’hui Mike, quels sont tes projets futurs ?
-Comme on dit : il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs. Celui qui n’a pas de projet est fini. Moi, j’aime les challenges. La prochaine étape se fera autour d’un concept tout nouveau que j’appelle le World Opéra, avec l’idée de créer dans le pluridisciplinaire, la mixture de tous les pôles d’activités que nous avons dans Bay Fall Dream. Ce sera une occasion pour notre Mouvement de montrer l’art, de montrer notre façon de voir les choses, d’aller vers de nouveaux créateurs, toujours dans le sens du partage. J’aimerais tellement qu’il y ait plusieurs joueurs de xalams, de ritis, de koras ...qui jouent ensemble. J’aimerais tellement vivre une massification de ces instruments jusqu’à l’orchestral.
-Pour terminer, que conseillerais-tu à un jeune qui voudrait faire de la création ?
-D’abord qu’il puisse bien conceptualiser… Pour créer, il faut d’abord avoir un concept, avec des outils, être passionné. Si on veut tenir, il faut être passionné. Bien faire ce qu’on aime pour se soigner d’abord avant de soigner les autres. Se poser la question fondamentale de savoir si on est capable de travailler dans la durée. Surtout s’éloigner de l’art éphémère qui est consommé tout de suite, comme la mode chewing gum… Ce qui est important, c’est de vouloir créer une mode intemporelle qui dure. Il faut sentir les racines et les choses couler de source dans une parfaite harmonie.
Dr Ndongo MBAYE, Docteur-es-lettres, Sociologue et journaliste, Poète-écrivain
Professeur-Associé en Communication et Sociologie à l’UCAD et à l’IFAA à Dakar
Membre du Comité Scientifique de l’Institut Culturel Panafricain (ICP) et de Recherche de Yène
Directeur du Département Lettres et Culture de l’ICP
Responsable du Pôle Loisirs Retraités et Handicapés de la ville de Choisy Le Roi (Val de MARNE)